Analyse linéaire des maximes 15, 16, 17, 18, 19, 20 et 21 de La Rochefoucauld

Maximes et Réflexions diversesLa Rochefoucauld

analyse linéaire


La Rochefoucauld, moraliste du 17ème siècle, disait : "ce que nous prenons pour des vertus n’est, le plus souvent, que vice déguisé et nos comportements réputés les plus honorables procèdent d’un conglomérat de facteurs dont aucun ne nous fait honneur". Il s’attache ainsi à démystifier "les grandes et éclatantes actions qui éblouissent les yeux" et qui s’avèrent être non pas les effets de grands desseins mais ceux de  "l’humeur et des passions".




Maxime 15
La clémence des princes n’est souvent qu’une politique pour gagner l’affection des peuples.

Maxime 16
Cette clémence dont on fait une vertu se pratique tantôt par vanité, quelquefois par paresse, souvent par crainte, et presque toujours par tous les trois ensemble.

Maxime 17
La modération des personnes heureuses vient du calme que la bonne fortune donne à leur humeur.

Maxime 18
La modération est une crainte de tomber dans l’envie et dans le mépris que méritent ceux qui s’enivrent de leur bonheur ; c’est une vaine ostentation de la force de notre esprit ; et enfin la modération des hommes dans leur plus haute élévation est un désir de paraître plus grands que leur fortune.

Maxime 19
Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui.

Maxime 20
La constance des sages n’est que l’art de renfermer leur agitation dans le cœur.

Maxime 21
Ceux qu’on condamne au supplice affectent quelquefois une constance et un mépris de la mort qui n’est en effet que la crainte de l’envisager. De sorte qu’on peut dire que cette constance et ce mépris sont à leur esprit ce que le bandeau est à leurs yeux.



Ici nous avons à étudier les maximes 15 à 21 qui traitent de 3 vertus attribuées généralement à un effort, un effort qui peut être poussé jusqu’à l’héroïsme pour se maîtriser soi-même, un effort pour maîtriser un instinct, pour s’élever dessus du commun des mortels.

Si on met à part la maxime 19 qui diffère par sa forme et par son ton, on a 3 groupes de 2 maximes ayant pour thèmes la clémence (maximes 15 et 16), la modération (maximes 17 et 18) et la constance (maximes 20 et 21). Elles sont bâties sur un même schéma, celui de Bahrts (critique littéraire contemporain), c’est-à-dire sous la forme de l’identité déceptive (caractérisée par l’expression "n’est que") ce qui amène une réduction de la valeur de l’entité étudiée. Mais chacune de ces maximes est doublée par une autre qui vient apporter de nouveaux éléments mais aussi diversifier ces éléments à ses dires. Ainsi, après la 1ere réduction de la clémence de la maxime 15 (qui la présente comme une politique), la maxime 16 va à son tour détruire la précédente car cette politique n’est pas pour autrui mais résulte des intérêts personnels. Malgré la fragmentation des maximes il y a une unité qui est une disqualification systématique.




La maxime 15 présente la clémence comme une vertu princière (ventée par Senech et Corneille). D’emblée La Rochefoucauld présente cette vertu comme un calcul intéressé. En effet ce calcul semble fondé sur l’innocence, la crédibilité des peuples qui croient au nom des princes et qui sont prêts à prendre pour argent comptant toutes ses apparences, étant ainsi abusés. Il associe immédiatement au nom de prince la vertu de Clémence. D’un côté on a des sujets qui sont abusés et qui, par leur crédibilité, s’abusent eux-mêmes, et de l’autre des princes machiavéliques car ils le savent et utilisent la faiblesse des peuples pour se procurer un pouvoir absolu et attirer par la même occasion la faveur des peuples. Il n’y a évidemment rien de très louable dans ce comportement mais il suppose une stratégie efficace et réfléchie et une grande lucidité des souverains et des moralistes qui sont capables de la déceler.
Mais la maxime 16 prouve que La Rochefoucauld ne veux pas en rester là. De fait dans cette maxime on assiste à une autre tournure de maxime déceptive : On a un effet de gonflement autour de la valeur de la clémence dans le début de la maxime " Cette clémence dont on fait une vertu" qui ne sert qu’à mieux servir le dégonflement qui suit. Ici ce n’est pas le but ni la manière d’effectuer la clémence qui est évoqué mais les intentions, la motivation qui l’accompagne. Pour cela il décrit la clémence comme la résultance de la vanité, de la paresse et de la crainte. C’est dire que, à l’origine d’une vertu, on a 3 défauts cachés présents individuellement ou collectivement. Ces valeurs négatives illustrent le propos initié. Ce n’est plus seulement la clémence des princes mais c’est toute attitude relevant de la clémence qui est mauvaise pour La Rochefoucauld.  Ainsi, si la maxime 15 se suffit à elle-même, elle est également complétée et éclairée par la maxime 16 et réciproquement.  

La maxime 17 introduit une autre vertu : la modération. La Rochefoucauld s’attaque ici à comportement sensé être le fruit d'une maitrise personnelle. Cependant une simple lecture montre que cet effort est surfait car ne saurait être porté au crédit de l’homme. Cette modération est attribuée à la bonne fortune. La Modération est donc causée par des facteurs sur lesquels l’Homme n’a aucun pouvoir. L’homme est un patient à qui il est donné de vivre cette modération mais pas de la causer.
La Maxime 18 réintroduit l’initiative humaine par 3 substantifs : crainte, ostentation et désir. C’est encore une construction ternaire. Le verbe "être" va associer un substantif à la pseudo-vertu qu’est la modération. La modération est tout d'abord la crainte de tomber dans l’envie et le mépris. Ici, si la vertu part d'une bonne intention (éviter d'être vaniteux), elle n'en est pas moins prise par défaut. Ce n'est donc pas vraiment une qualité. Ensuite la Rochefoucauld explique que la modération est perçue comme une ostentation (la volonté de faire voir). C'est la volonté d'apparaitre comme un homme modeste. La Rochefoucauld conclue en expliquant qu'à force de vouloir paraître modéré on a un désir de vouloir paraître plus grand que sa fortune. Or, la fortune étant soumise à ce qu’on ne contrôle pas, la modération apparait alors une ambition extrême. En effet vouloir s’attaquer à plus fort que soit est une haute élévation que La Rochefoucauld, comme tous les auteurs classiques, déconseille. C’est vouloir s’attaquer à ce que l’Homme n’a jamais su maîtriser. Il y a une opposition entre la vertu apparente (la modération)  et le motif caché qui relève de la démesure. C’est là une ambition contraire de ce que l’on veut paraître d’où ce désir.

La maxime 19 semble faire tache dans cet extrait. Elle n’est raccrochée à aucune vertu particulière. Elle évoque plutôt une force mystérieuse. Le mot "tous" renforcé par "assez de force pour supporter" montre que nous ne sommes pas tous égalitaires dans cette force mais que nous l’avons tous. Ce procédé d'attente a pour effet d'intriguer le lecteur. Quelle est donc cette force ? La suite de la phrase " assez de force pour supporter les maux " laisse penser qu'il s'agit de la force de supporter ses problèmes personnels, d'une force psychologique. Cependant le dernier mot de la maxime 19 "autrui" provoque une chute admirable : le vrai sens de la maxime n'est révélé qu'à sa toute fin. Cet effet de retard manifeste un trait d’ironie cinglant car il fait ressortir notre comportement égocentrique. Nous pensons tout d'abord à nos propres maux avant de s'intéresser à ceux des autres. Présentée de la sorte, cette maxime a une pointe satyrique envers n’importe quel homme. Elle rejoint ainsi les autres maximes dans son but de dénoncer les défauts humains. En plus de l'enseignement qu'elle procure, cette chute a pour effet de divertir et d'amuser une personne sensible aux procédés littéraires. C'est l'objectif même de ce texte, les maximes étant, au XVIIème siècle, des jeux de salons.

La maxime 20 apporte une dernière vertu : la constance. Elle introduit pour cela les personnages auxquels on attribue généralement cette vertu : les sages. Les sages sont des modèles qui sont, en principe, dotés de nombreuses vertus. Ce sont les hommes qui ont atteint la maturité, qui sont devenus des modèles à suivre. Mais voilà que leur attitude de constance, qui est normalement considérée comme la preuve d'une sagesse vénérable, est discréditée. En effet l'origine de la constance est présentée non pas comme une maîtrise personnelle mais au contraire comme un art artificiel, fabriqué, l’art de renfermer leur agitation. Cette vertu ne comprend donc aucun travail de transformation mais simplement un effort pour étouffer, refouler son agitation dans son cœur. Il y a donc maintint de cette agitation et production d’une fausse apparence. La constance est donc le fruit d’un art trompeur et non pas d'une vertu. C’est un effort efficace et concerté mais qui, par rapport à la réalité, produit un effort de paraître.
La maxime 21 reprend la vertu de la constance et propose un exemple : celui des condamnés à mort qui tentent de faire bonne figure. En effet selon La Rochefoucauld cette bonne figure n’est qu’une affectation, quelque chose de travaillé, de fabriqué, qui, en réalité, masque une crainte réelle. Loin d'être capable d'affronter la mort, les condamnés vivent dans la crainte de l'envisager. Cette révélation est dévoilée par la tournure déceptive "n’est que". Ici la constance ne manifeste pas un mépris de la mort mais une volonté de ne pas y réfléchir. La constance cache donc une faiblesse. Dans la dernière phrase de la maxime La Rochefoucauld assimile la constance à un bandeau et l'esprit à leurs yeux. Par cette comparaison La Rochefoucauld montre que cette volonté de ne pas céder à la crainte relève d’un aveuglement volontaire. C'est donc une faiblesse puisque la constance, tout comme le bandeau, n’empêchera pas l'exécution. Cette maxime complète la série sur la constance en donnant une image concrète de la fausse vertu, à une différence près que cette image dénonce une double comédie : on a 1 trompeur mais 2 trompés : si le prisonnier parvient à tromper son public, il n'en reste pas moins trompé par ses propres pratiques. Dans cette maxime, la thématique du regard introduite par les mots "bandeau" et "yeux" est importante car elle illustre tout l'effet de la constance pour le prisonnier et son public : plus le trompeur parvient à tromper efficacement son entourage plus son entourage va l’admirer et plus, rassuré par cette admiration, il va se rassurer et conforter son travail d'illusion. C’est donc un double aveuglement public/prisonnier qui se nourrit réciproquement : le regard d’autrui devient la caution du trompeur.


CONCLUSION :
Cette série de maximes montre la complexité du processus de réduction. En effet les maximes sont systématiquement démythifiées car elles sont ramenées à des éléments divers envisagés selon différents points de vue. Ainsi la qualité de la fragmentation constitue elle-même une vertu : chaque maxime apporte une vérité générale et définitive mais chacune d’entre elles prennent un angle d’attaque différent, une vision différente, chacune vient secouer la précédente de façon méthodique de telle sorte que cette organisation vient secouer la belle confiance dans les valeurs, la belle confiance que l’Homme attribue aux autres de manière complaisante.

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